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Au fin fond du monde, une librairie

Ma décision était celle d’une femme en post-partum, un phénomène répandu. Beaucoup d’entre nous inaugurions la trentaine et la maternité, avec nos petits sous le bras, comme pour éviter que notre petite œuvre d’art ne se gâte trop vite. Quant à mon partenaire, il est d’ici. Il fait partie des rares Barilochenses qui reviennent après s’être formés ailleurs. Il gardait le souvenir d’une enfance dans la nature ; la mienne n’était pas aussi brillante, alors j’ai dit oui. En post-partum et terrifiée à l’idée qu’un chauffeur de bus de mauvaise humeur ou l’un de mes voisins de Chacarita sous l’emprise du « paco » nous écrase juste au moment où la vie commençait, la destination patagonienne est devenue une certitude. Je ne me souviens pas de notre conversation décisive, c’est simplement devenu un fait. Maintenant je sais que nous mourrons écrasés sous un arbre ou dans un incendie de forêt.

Personne n’est d’ici. La question est « Quand es-tu arrivé ? », et la réponse la plus courante parmi les membres de la dernière vague migratoire est : je suis venue pendant la pandémie, en suivant des miettes qui me conduiraient à la forêt, comme Hansel et Gretel. Les miettes, c’était ces souvenirs d’un voyage familial dans le sud ou d’une aventure en sac à dos avec des amis. Nous nous croisions tout le temps et nous nous voyions reflétés dans ce que nous croyions être une épopée personnelle, mais qui s’avérait être un mouvement collectif. Les nouveaux habitants. Les nouveaux arrivants de la Capitale Fédérale. Le premier hiver serait l’épreuve décisive.

Je ne sais pas bien ce que signifie le mot nature. Une recherche rapide révèle que, selon la RAE, la nature est « l’ensemble de tout ce qui existe et qui est déterminé et harmonisé dans ses propres lois ». Ñuke Mapu, la mère nature en mapuche, évoque la Terre dans un sens plus profond, « elle est tout, elle explique tout et elle est partout ». En 2020, j’ai participé à un échange épistolaire entre écrivaines, compilé par la suite dans le livre Intranquilas y venenosas (éd. Odelia). Dans ma lettre, je dis que je sais qu’il n’est pas bon de s’enfermer pour ne pas s’exposer aux risques d’être vivant, mais que c’est un peu ce que fait toute la société et que j’en profite pour me cacher d’autres choses. C’est drôle parce qu’à Bariloche tout est caché. Je me livre à l’exercice périlleux de la définition : la nature pourrait être un bon endroit où se cacher.

Bariloche, mon collier de perles universel 

Je dis aussi, dans cet e-mail, que je regarde mon fils à son échelle miniature et « je désire si fort que quelque chose me contienne de la même manière, qu’une main géante me caresse le dos », que je rêve que nous sommes sur une plage et que « la mer, le ciel, toutes ces choses imposantes et lointaines nous entourent » et là je nomme le mot nature. Je dis : « comme si, dans la nature, je pouvais me reposer et que quelque chose de plus grand nous enveloppe tous les deux, quelque chose de plus grand qui me laisse toute petite, qui m’absolve de cette illusion de pouvoir et de responsabilité totale et qui nous place dans une chaîne, dans un collier de perles universel ». Bariloche, ma quête personnelle, mon collier de perles universel.

Je ne sais pas ce que je pensais faire une fois que le post-partum serait passé et que je me rendrais compte que j’étais arrivée au beau milieu du « culo helado del mundo ». Je crois que je ne pensais à rien. Mais on dit que les bébés naissent avec un pain sous le bras. Le mien est arrivé avec une librairie. Trois semaines après avoir accouché, des amies m’ont légué une librairie qui allait fermer et l’une d’elles, également mère, m’a poussée à l’accepter. Qu’on vous offre un rêve, c’est quelque chose de bizarre et bien sûr j’ai accepté. Quand, un an plus tard, nous avons chargé la voiture pour venir à Bariloche, j’ai réussi à glisser dans le Tetris du coffre deux ou trois caisses de livres. Un cheval de Troie, une stratégie, un billet pour le futur, que j’ai serré dans ma poche presque inconsciemment.

Nous sommes arrivés à Bariloche le 3 février 2021. Nous avons passé une semaine chez ma belle-mère (une exilée de la Capitale Fédérale des années 80, même âge que nous maintenant, aussi avec un bébé) puis nous nous sommes installés dans la maison que nous avions louée depuis Buenos Aires. Elle s’appelait « Rancho aparte » et c’était, tel qu’indiqué, un ranch, un mélange de Prospect Cottage et des ranchs de la côte uruguayenne de Rocha, perdu entre la montagne et le lac Nahuel Huapí. Mon Instagram me rappelle que j’ai fait la première foire aux livres à Rancho Aparte le 14 mars 2021. Certains représentants de la nouvelle vague (migratoire) sont venus, ainsi que d’autres habitants de longue date, d’une vague précédente. Une fille de la vague de colons d’avant m’a invitée à faire d’autres foires au livre, dans un autre espace, appelé Barcaza, à Villa Los Coihues, un quartier éloigné, un monde à part, où cette autre vague d’exilés a posé les bases d’une culture fraternelle, populaire, avec une marque locale, de poètes et d’amoureux des lettres. C’était une époque où les livres étaient encore accessibles à presque tout le monde et je me sentais comme le Père Noël qui arrivait avec des cadeaux précieux.

Dans un container appelé Escándalo

Depuis juillet 2022, la librairie cohabite dans un container appelé Escándalo, sur l’avenue Bustillo, la seule et principale qui traverse les 24 kilomètres sur lesquels s’étend la ville, du centre vers le Llao Llao, avec deux projets : une boutique de produits faits par des artistes locaux, Presente y Agasajo, et une galerie d’art contemporain, qui promeut également le travail d’artistes locaux, Tribu de Trueno. Ma librairie est maintenant une librairie de quartier dans un village qui n’en avait jamais. La culture se répand par internet, les gens viennent chercher des livres sortis hier, la culture n’est plus un secret du centre-ville. À Bariloche, mon rôle de libraire m’a donné une place dans le village. Ici, tu dois arriver avec un plan. Le truc c’est que tu dois créer ce dont tu as besoin. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a rien ici. Il y  a de tout, mais tout est caché. Comme pour les meilleures plages, tu dois avoir la bonne information pour les trouver.

Depuis 2021, la librairie a cessé d’être une visiteuse portègne, pour fusionner avec les lecteurs locaux. Certains livres qui étaient des best-sellers à Chacarita sont tombés dans l’oubli, d’autres ont pris de l’importance. La consommation de l’ironie et du trash est en berne. Je n’ai aucune analyse sociologique à ce sujet, c’est comme ça. Il y a moins de peur à poser des questions, à avoir des sentiments, à chercher la beauté ou à s’émouvoir. Je vois le voyage des livres depuis les étagères jusqu’aux maisons des lectrices et lecteurs et je me demande : quels changements ces lectures sont-elles en train de cultiver dans l’écosystème barilochense ? Ce changement est certainement imperceptible, comme une couche supplémentaire dans cet écosystème énigmatique et distant, que seul l’œil patient pourra déchiffrer, comme c’est toujours le cas, en Patagonie.

Encadré 1 :

La librairie La Sede est une librairie de montagne avec un catalogue soigneusement sélectionné, d’éditeurs indépendants d’Amérique latine et d’Espagne, avec environ 2500 titres de plus de 200 éditeurs, classés parmi les catégories pensée contemporaine, études sur la nature, la poésie, chroniques et essais littéraires, romans, récits, essais sur l’écriture et d’autres arts, avec une section bien fournie de livres pour enfants.

Instagram : lasedebariloche

Encadré 2 :

Située en périphérie de la ville, au kilomètre 13.920 de l’Avenue Bustillo, elle promeut des activités telles que des ateliers, des lectures, des présentations et a deux clubs de lecture : Club de Lectures pour la Fin du Monde et Club de Lectures pour le Nouveau Monde (pour les enfants).

Pour y arriver depuis CABA : avion depuis Aeroparque ou Ezeiza / bus depuis Retiro + taxi depuis l’aéroport de Bariloche ou le bus 72 combiné avec le 20 ou le 21.

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