À l’approche des festivités du carnaval, notre regard s’est porté sur les murgas, ces fameuses organisations de quartier qui animent les rues de Buenos Aires avec des chants, de la danse et de la musique durant tout le mois de février. En particulier Lagamur Delrioba – la murga del barrio en verlan -, seule murga de style uruguayen qui défile lors du Carnaval porteño.
Nous les avons rencontrés un soir de répétition dans le quartier de la Paternal. Buenos Aires Connect pensait faire connaissance avec la communauté uruguayenne de la ville. Il n’en est rien. Si Germán Delgado, son directeur, est réellement originaire du paisito, le reste de la troupe est composée en majorité d’Argentins. Faire partie d’une murga uruguayenne est donc plus une question d’attrait pour un style de carnaval qu’une revendication identitaire de quelques expatriés. C’est un genre bien particulier, issu d’une longue tradition en Uruguay (certaines murgas ont cent ans) qui a connu un renouveau à la fin des années 1990 et se trouve en plein essor actuellement. Il connaît un franc succès en Argentine puisqu’il existe quatre-vingt et quatre-vingt-dix murgas uruguayennes dans tout le pays dont trente-trois à Capital Federal et dans le Grand Buenos Aires.
BAC – Comment est née la murga de style uruguayen à Buenos Aires et, plus particulièrement, Lagamur Delrioba ?
Matilde – Au départ, elle est apparue grâce aux immigrants uruguayens mais elle a rapidement séduit une population plus large. Je crois que le porteño aime beaucoup le style de Montevideo ou d’Uruguay. Quant à Lagamur del RioBa, elle naît des ateliers dédiés à cette activité. En 2011, l’atelier se transforme en un véritable groupe avec sa propre organisation et l’intention de monter un spectacle avec des costumes etc…
Quels modèles suivez-vous pour monter ce spectacle ?
Germán – On fixe une unité thématique chaque année, comme dans presque toutes les murgas. La murga uruguayenne a une structure claire : une chanson de présentation (qui présente le thème), un salpicón (qui critique ce qui se passe), un nombre de couplets déterminé par chaque murga (légers et drôles), une chanson finale (qui résume ce qui s’est dit) et un au-revoir (où l’on promet de revenir l’an prochain etc). A cette structure, la murga porteña ajoute aussi une chanson hommage pour une personne en particulier. Par exemple un murguero disparu, un homme politique, un musicien célèbre…
Quelle serait la différence entre la murga uruguayenne et la murga porteña traditionnelle ?
Germán – Le style uruguayen donne plus d’importance au chant qu’à la danse. Mais je crois que la principale différence c’est que la murga uruguayenne relève de la scène alors que la porteña tient davantage du défilé, étant pensée pour la rue. Quand nous défilons au milieu des murgas porteñas, on voit bien qu’elles sont très bien préparées à cela. On fait profil bas ! Voilà pourquoi nous avons cherché des solutions pour occuper l’espace scénique de la rue, notre point faible, en créant par exemple des pantins à tête géante etc.
Du coup, on comprend que c’est un vrai défi pour vous de participer au Carnaval porteño, n’est-ce pas ?
Germán – Tout à fait. C’est un nouvel espace pour nous. On doit apprendre à le remplir. Et ce qui compte c’est de bien nous adapter aux particularités de ce carnaval, quitte à sortir de nos habitudes liées aux traditions du style uruguayen. Nous ne sommes pas dogmatiques.
Matilde – Oui, on le prend comme un défi. C’est beau de proposer aux gens quelque chose de différent, de les surprendre. Et on aime bien sentir que ceux qui nous regardent sont en train de découvrir et d’apprécier quelque chose de différent.
Les gens réagissent différemment ? C’est perceptible quand vous défilez ?
Hochements de tête.
Matilde – Oui, ça dépend des quartiers, des cortèges.
Germán – Il y a une différence avec les murgas argentines qui nous favorise. Certaines d’entre elles, les centros murgas, sont des fondamentalistes de la grosse caisse et des cymbales comme accompagnement musical et réunissent énormément de gens pour défiler. Souvent, les cortèges sont organisés par les murgas elles-mêmes. Si l’une des murgas est un centro murga, son public est composé d’autres centros murgas invités. Nous sommes à l’opposé de cela.
L’autre division porteña, ce sont les agrupaciones murgueras et celles-ci nous ressemblent davantage. Elles sont moins traditionnelles, certaines sont influencées par le style uruguayen. Elles intègrent des instruments mélodiques, comme les guitares et les claviers. Quand on tombe dans un cortège comme celui-là, c’est beaucoup plus amical. Le public s’attend à voir plus de variété de styles comme du cirque, du théâtre, de la musique…
Pourquoi participez-vous au Carnaval porteño ?
Pour nous, la murga est un genre populaire, qui respire la rue et le peuple. Ça aurait été bizarre d’aller à Montevideo comme des touristes pour participer au carnaval et chanter devant d’autres touristes. Notre réalité, les critiques qu’on peut recevoir, même comme Uruguayens, c’est ici que ça se passe. D’où le défi de sortir dans la rue parmi les gens d’ici, en chantant des choses d’ici.
Quels sont les critères pour faire partie de Lagamur Delrioba ?
Germán – La question le fait sourire. Pas besoin d’être Uruguayen. Les Uruguayens, nous sommes la minorité absolue. Chaque murga a sa propre identité et particularité. Certaines privilégient l’excellence du chant, parfois au détriment de l’ambiance et des relations humaines… Ce n’est pas notre voie. On ne choisit pas spécialement quelqu’un pour son talent vocal mais pour ce qu’il apporte à l’ambiance du groupe qui est en train de se mettre en place.
Comment vous organisez-vous pour un spectacle ? Combien de temps vous préparez-vous ?
Germán – On se réunit tous une fois par semaine pour répéter. Il y a aussi une commission pour les paroles qui se réunit le mercredi et à laquelle certains assistent.
El Negro – Pour préparer les textes, on met en place une structure de spectacle, on cherche une forme, une trame, une direction à suivre. On écrit sur cela et puis on voit ce qu’on garde ou pas, ce qu’on retravaille… On répète toute l’année. En général on ne s’arrête pas. C’est une activité constante. Et puis on défile lors du Carnaval. On compte au moins entre dix et vingt prestations au mois de février.
Vous produisez-vous seulement pour le Carnaval ?
Germán – Non, aussi pendant l’année, quand on nous invite, dans la rue, dans un club de quartier ou un centre culturel…
El Negro – Évidemment, ce qu’on préfère c’est sortir et être au milieu des gens. Le spectacle de cette année est en construction, mais on maîtrise bien celui de l’année dernière et on le chante où que ce soit. Notre dada, c’est de chanter.
Photo : Anette Etchegaray – facebook Lagamur Delrioba