« Je suis parti de la situation banale d’un couple avec deux enfants, et puis je me suis enfoncé dans les interstices, derrière les images, pour atteindre des zones plus enfouies ». C’est avec ces mots simples que le britannique Martin Crimp décrit l’intrigue qui se cache derrière son énigmatique « ville ».
À Buenos Aires, capitale latino-américaine du théâtre, où la figure du teatrista -à la fois auteur et metteur en scène et même acteur- prédomine, il est rare de voir jouer des dramaturges européens et en particulier des représentants, comme Martin Crimp, de cette écriture de la postmodernité pourtant si prégnante sur le Vieux continent.
Bien sûr, la scène théâtrale porteña de l’après dictature s’est construite une identité très marquée, bien à elle, où la part belle est donnée au travail de l’acteur, à l’improvisation, et au texte : ici, le drame n’est pas mort. On est souvent loin de l’esthétique post-dramatique européenne –le théâtre de l’après Auschwitz- où la déconstruction systématique du récit, le rejet des conventions dramatiques et le lyrisme de l’intime ont pris le devant de la scène. Alors comment réussir à se faire rencontrer ces deux mondes esthétiques a priori opposés ?
C’est la question que semble avoir posé le premier Festival International de Dramaturgie Europa + America qui a eu lieu à la fin de la saison dernière et dans le cadre duquel à été créé la mise en scène de « La Ciudad » (« La Ville ») par l’Argentin Cristian Drut, déjà metteur en scène de plusieurs textes de Crimp mais aussi de Sarah Kane ou de Jean-Luc Lagarce.
Et la rencontre est plus que réussie, entre la partition théâtrale complexe et la sobriété de la scénographie, entre la mécanique intrigante d’un monde en perte de sens, aux fissures palpables et aux déraillements certains, et un jeu d’acteur d’une précision incroyable, d’une justesse et d’un charme indéniable. Les deux comédiens en charge des personnages principaux, Clair et Christopher, semblent bien avoir été taillés pour ces rôles, et c’est un plaisir véritable de les voir exécuter leur partition.
L’univers de « La Ciudad », c’est le quotidien d’un couple terriblement banal au premier abord. Et pourtant, peu à peu, l’étrangeté prend place, tantôt comique tantôt inquiétante ; insensiblement, un léger bouleversement à lieu, un simple déplacement qui laisse à nu l’interstice qui sépare la fiction du réel. Sans bien comprendre comment, nous voilà emmenés « ailleurs ». On n’en dira pas plus, mais on recommande grandement de faire ce mystérieux voyage.
Avec cette mise en scène de « La Ciudad » ce sont deux écoles théâtrales chargées d’histoires qui se rencontrent : d’un côté une poétique de la violence et de l’absurde (Martin Crimp a d’ailleurs souvent été associé au mouvement esthétique « in-yer-face ») et de l’autre une approche du plateau dénuée de lourdeur, une mise en jeu ludique, joyeuse, et sans fioritures, comme savent le faire si bien les Argentins. Le mariage est réussit, sans aucun doute !
Ce petit joyau est à voir au Teatro del Abasto, dans le théâtral quartier d’Almagro, où vous pourrez ensuite vous restaurer sans difficulté chez Ermak ou Pierino ou bien boire un verre à la Casona de Humahuaca juste à côté !
« La Ciudad » au Teatro del Abasto
Humahuaca 3545 – Almagro
Samedi à 18h30
Entrée générale : AR$100
Réservations sur Alternativa Teatral