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L’art du scénario avec Andrés Duprat, directeur du musée des Beaux-Arts et figure du cinéma argentin

Le scénariste et gestionnaire culturel a reçu La Revue dans son bureau du musée des Beaux-Arts, qu’il dirige depuis 2015. Quelques thématiques évoquées : les musées à l’heure de la culture numérique, les processus créatifs, les limites du politiquement correct et bien-sûr le culte argentin de l’amitié !


 

La conversation aurait pu se dérouler comme le scénario d’un film. Quelque chose d’écrit, bien structuré et sans surprises. L’intervieweur serait venu avec des questions précises. Andrés Duprat aurait répondu de façon enthousiaste mais calculée, ouvrant parenthèse après parenthèse sans perdre le fil… Mais non. Peut-être qu’Andrés préfère l’improvisation, en dehors du monde du cinéma et de son rôle de scénariste, au sein du trio amical-fraternel inséparable qu’il forme avec son frère Gastón Duprat et Mariano Cohn. Au deuxième étage du musée des Beaux-Arts, la table de conférences est occupée par des œuvres d’art encore emballées. Il s’assoit donc derrière son bureau rempli de livres à couverture épaisse. Je lui raconte que La Revue #3 est axée sur l’amitié. Il aime bien cette idée. Mais au lieu de commencer par le documentaire Todo sobre el asado (2016), tel que je le lui suggère, il démarre avec son film Mi obra maestra (2018), l’un des rares que je n’ai pas vus, forcément. Alors, il commence par me raconter le scénario…

Andrés Duprat : C’est l’histoire d’une amitié entre un galeriste un peu commercial, médiocre, et un artiste comme il n’en reste plus beaucoup, qui se moque de vendre ou non. De ceux qui existaient quand il n’y avait pas de système de l’art. J’en ai connus quand j’étais jeune : des artistes sans assistant, disruptifs, plus sauvages. L’artiste du film a perdu la mémoire, son ami lui raconte sa vie antérieure et ça ne lui plaît pas. Il s’écrit FIN sur la main comme Alberto Greco et tente de se suicider. Mais il ne meurt pas. Ce film parle d’une amitié un peu machiste, cette camaraderie qui existait avant… Attends, tu veux enregistrer ?

La Revue : J’enregistre déjà… Parle-moi de ces artistes que tu as croisés quand tu as commencé ta carrière.

AD : Miguel Briante, Alberto Laiseca, León Ferrari, Luis Felipe Noé, Quique Fogwill… C’étaient des artistes plasticiens, des écrivains, des intellectuels. Je les admirais ; ils étaient sauvages. Maintenant tout est plus médiatisé. Il y a davantage de règles et de structures. La professionnalisation a apporté de l’ordre, pour le meilleur et pour le pire. Avant, il y avait une relation plus directe entre l’artiste et le galeriste ou entre l’artiste et le public. On pouvait parler directement avec l’artiste, il n’y avait pas d’intermédiaires.

LR : Ne crois-tu pas que tant d’intermédiations ont éloigné le public non-expert de l’art ? Maintenant, il semblerait qu’on ait peur de donner son avis sur une œuvre ou de dire ce qu’elle nous fait ressentir… Comme si un sentiment pouvait être erroné.

AD : Totalement ! Avec les avant-gardes du XXe siècle, l’art s’est éloigné de plus en plus du goût populaire. Les avant-gardes l’ont rendu plus élitiste, jusqu’au point de nous faire croire que c’était l’exclusivité des initiés. L’œuvre doit inviter à ressentir, pas seulement à comprendre. L’incompréhensibilité dans l’art, comme disait Susan Sontag, devrait être célébrée plutôt que vue comme un défaut.

LR : Tu parlais de professionnalisation : penses-tu que ce phénomène rend impossible le lien amical dans le monde de l’art ?

AD : Je ne sais pas s’il le rend impossible, mais il le détériore pas mal. Parce qu’il commence à y avoir des règles commerciales plus claires. C’est quand même un phénomène mondial. Aujourd’hui, tout est déjà assez médiatisé et mesuré pour se protéger et faire de meilleures affaires.

LR : Est-il toujours recommandable de travailler entre amis ? Dans la série Bellas Artes (Disney +), dont tu as écrit le scénario, on dénonce les « pistons » qui faussent le système d’embauche.

AD : C’est quelque chose qui arrive souvent, au détriment de la qualité. Et il n’y a aucun contrôle là-dessus. C’est vrai qu’il y a comme un épiphénomène social autour des relations, avec un jeu de séduction permanent. Mais qu’importe ? Nous ne parlons pas de médecine. Ce n’est pas comme si tu demandais à un ami de t’opérer du cœur… Dans une interview, on demande à Orson Welles s’il a déjà engagé un ami et il répond que oui, qu’il le fait constamment. Il s’agit d’art, de culture, cela n’entraîne pas de graves conséquences !

LR : Comment font les musées pour rester « amicaux » avec le public et continuer à l’attirer, à l’ère du numérique ?

AD : Les musées sont des éléphants, ils ne seront jamais des espaces d’avant-garde, mais ils peuvent s’adapter aux grands changements sociaux de l’humanité. Maintenant, ils offrent plus que des expositions. On essaie qu’ils deviennent une sorte d’île où l’on peut faire une pause au milieu de ce monde accéléré. Ils ont toujours été des espaces de rencontre, des endroits particuliers, où donner rendez-vous à quelqu’un et où se promener.

LR : Le grand succès des musées est d’attirer tant les experts que le grand public. Tout le monde va au musée…

AD : Oui, parce que le musée offre autre chose. C’est une activité très conviviale, car elle n’est pas invasive. Ce n’est pas comme d’aller au théâtre où tu es enfermé pendant deux heures, avec tout un rituel qui implique beaucoup de concentration mais aussi la connaissance de certains codes. Avec les arts visuels, tu consacres le temps que tu veux à la pièce que tu veux. Tu peux rester vingt minutes ou passer quatre heures à la regarder. Les musées ont été habiles et ont réussi à capter le public qui allait auparavant dans les églises. Tu te promènes, tu vois une architecture particulière et on ne te gronde pas si tu parles.

LR : Dans Beaux-Arts, le thème de la déconnexion de l’art avec le public est très présent. Et elle parle aussi du politiquement correct. À quel moment a-t-on commencé à observer cette tendance ?

AD : C’est une nouveauté de ce siècle. Heureusement, j’ai le sentiment qu’elle est déjà en train de s’estomper. Je suis en faveur des revendications, pas des effacements (« cancelaciones », NDLR). Corriger l’histoire avec les yeux du présent reste une pratique dangereuse. Il faut reconnaître les erreurs, pas les effacer. Nous vivons dans le monde des offensés. Les États-Unis sont le leader de cette tendance, qui implique que quiconque se sent offensé pour quelque chose a raison. Pour moi, les arts visuels, la littérature, le cinéma, la fiction en général sont là pour explorer et conjurer ces fantasmes. Si on ne le fait pas dans la fiction, que nous reste-t-il ? C’est comme si tu annulais un rêve. En dormant, on peut rêver des choses les plus incorrectes, quelque chose d’aberrant, et cela se déverse dans l’art et ce n’est pas mal. En cela, j’adore l’œuvre d’Ariana Harwicz (dit-il en montrant La Revue #2, dans laquelle l’écrivaine est interviewée, NDLR).

LR : Dans la série, il y a une statue que certains veulent retirer pour faire oublier son auteur. Dans le cas de l’Argentine, comment vois-tu la relation du pays avec son passé et avec la diversité ?

AD : Dans le sud, il y a beaucoup de discussions sur la mal nommée Conquête du désert. Un nom néfaste ! Cela dit, Roca a été président. Je ne crois pas qu’il faille le faire disparaître comme Videla le faisait avec ceux qui ne lui plaisaient pas. Ne serait-il pas mieux d’assumer ? Nous sommes tout ça à la fois, cette soupe comme je dis, ce mélange, c’est de là que nous venons. Les Grecs du Siècle d’Or avaient des esclaves, mais cela ne va pas à l’encontre de leurs contributions à la culture et à la pensée. Il y aura toujours quelque chose ou quelqu’un du passé à annuler en appliquant des paramètres du futur. L’anachronisme est très dangereux. On pourrait nous bannir, dans le futur, pour la façon dont nous agissons aujourd’hui.

LR : Revenons à notre thématique et obsession principale : l’amitié. Quelle est selon toi la particularité de l’amitié à l’argentine ?

AD : Je ne sais pas si c’est une chose d’exclusivement argentine, mais ici, il se trouve que ce mélange qu’il y a eu entre immigrants a installé un esprit aventurier, une culture dans laquelle le lien amical est passé au premier plan. L’immigrant arrivait généralement seul, puis il amenait un parent, mais ça restait des gens solitaires, qui avaient besoin de forger des liens parce qu’ils manquaient du soutien familial. Dans cette renaissance du migrant, naissait la nécessité de créer de nouveaux liens et c’est là qu’on a fait un culte de l’amitié, à mon sens.

LR : Dans quel type de réunions et de lieux pratique-t-on cet art de l’amitié ?

AD : Au café, sans aucun doute ! En Italie, les gens prennent un café debout et s’en vont. Ici, ça peut durer des heures. Beaucoup de nos expériences ont mal tourné, mais celle-là, je crois qu’elle a bien marché. Il y a un culte de l’amitié et des relations profondes. Cela a aussi à voir avec la psychanalyse. Des gens qui se pensent eux-mêmes. Qui suis-je ? Quelle relation ai-je avec les gens qui m’entourent ?

LR : Et l’asado ? Je suis venu parler de Todo sobre el asado, du culte du barbecue, des réunions spontanées qui durent toute une journée…

AD : En Europe ou aux États-Unis, il y a plus de peurs, on préserve davantage l’intimité. Ici, c’est plus ouvert. Je te connais à peine et je pourrais t’inviter à manger un asado aujourd’hui même. Si tu vas à une fête, les gens se moquent de qui tu es et d’où tu viens. Il n’y a pas de lignée, pas de pedigree, et cela se lie totalement avec ce que nous disions sur l’immigration.

Fabien Palem
Cofundador y director editorial de La Revue. Editor de Buenos Aires Connect. Periodista independiente, corresponsal en Buenos Aires del diario Le Figaro. Amante de literatura argentina, de pinot noir patagónico y de los bares con sifón. fabien@buenosairesconnect.com

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