Suivez notre parcours à la découverte des bars perchés en hauteur du Microcentro, un quartier phénix qui a ressuscité de ses cendres à partir de 2021. Les fameux rooftops offrent les meilleures vues sur la ville et sur le patrimoine de l’un de ses quartiers les plus anciens.
« Mais vous êtes fou ? Qui va venir ? », demanda l’agent immobilier à Luis Felipe Noé, l’un des plus grands artistes d’Argentine, en 1968. Dans ce local sans âme, en plein Microcentro de Buenos Aires, Noé voulait ouvrir un bar. Malgré les avertissements, c’était l’année « de l’imagination au pouvoir » et, bien sûr, Luis Felipe trouva quelques complices et ne tarda pas à concrétiser son projet. « C’était un quartier de marins et de femmes ‘très personnelles’, que je respecte beaucoup », se souvint-il malicieusement il y a moins d’un an, lors de l’inauguration de l’une de ses expositions au siège de la Banque Macro (av. Eduardo Madero 1180).
Cinquante ans plus tard, au lendemain de la pandémie, certains entrepreneurs ont entendu des objections similaires à celle reçue par Noé. Leur projet ? Créer des « rooftops » dans cette zone particulièrement touchée par le lockdown. Le parcours du Microcentro portègne est, pourrait-on dire, circulaire. Bien qu’il se soit consolidé dans les années 90 comme une zone de banques, d’entreprises et de bureaux, les espaces gastronomiques visaient principalement de la petite restauration, du « sur le pouce » pour offrir en déjeuner aux travailleurs. Au début du XXIe siècle, il est devenu le quartier de « pubs » qui cherchaient à reproduire la coutume irlandaise de la bière « after office » entre collègues de travail et a gagné un autre type de mouvement : soudain, il a commencé à y avoir de la vie après sept heures du soir. Et si avec l’avancée du nouveau millénaire les premiers « bars en hauteur » ont débarqué timidement, ce concept importé d’Europe qui offrait les meilleures vues de la ville, le souffle d’air frais s’est transformé en steppe aride quelques années plus tard, avec le tourisme paralysé et les bureaux vidés par le Covid. Ainsi, le Microcentro est à nouveau entré dans une décadence qui l’a presque transformé en une zone fantôme. Les avenues Corrientes et Alem, la rue piétonne Florida, les alentours de la Plaza de Mayo et la zone des Tribunaux ont été les zones les plus touchées. Tout était désolation, jusqu’à ce que la vaccination massive et le retour de la vie sociale ne lui donne une deuxième chance. Le retour du tourisme et les facilités fiscales que le gouvernement a accordées à la zone pour la rendre résidentielle, dans le but de remplacer les bureaux par des logements, ont donné au Microcentro l’élan dont il avait besoin. Ainsi, l’un des quartiers les plus résilients de la cité portègne a retrouvé sa splendeur. Aujourd’hui, les bars en hauteur se multiplient dans cet axe urbain et attirent touristes et locaux qui aspirent à des rencontres joyeuses, avec les coupoles, le Río de la Plata et les bâtiments historiques comme toile de fond. Voici un panorama des plus remarquables de la ville.
Trade : Corrientes 222
Ce fut l’une des ouvertures les plus significatives de la période pré-pandémie. En 2019, Trade Bar secouait l’avenue Corrientes depuis l’emblématique édifice Comega, la première grande construction rationaliste de Buenos Aires, en 1923. Proche de l’Obélisque, l’ancien Centre Culturel Kirchner (rebaptisé Palais de la Liberté sous le gouvernement de Javier Milei) et du Luna Park, il a fait sensation avec sa gastronomie et son bar, situé aux étages 19, 20 et 21. « Nous étions allés à New York et nous sommes revenus avec cette idée. Nous sentions que Buenos Aires, en tant que métropole incontournable de la région, méritait aussi d’en avoir un », raconte Andres Rolando, à la tête du projet. « L’emplacement nous a semblé idéal, car de là on peut profiter des points les plus emblématiques de la ville : l’Obélisque, la Tour des Anglais, le Río de la Plata, Puerto Madero. » Un lieu privilégié, sans aucun doute. Si unique que le magazine britannique Time Out l’a qualifié comme l’un des meilleurs rooftops du monde. Les célébrités de premier niveau n’ont pas tardé à arriver : Lionel Messi est venu avec sa femme, Antonela Roccuzzo, trois mois seulement après avoir soulevé la Coupe du Monde ; Coldplay a répondu présent lors de sa tournée en Argentine et le bar a même privatisé un secteur pour Rafael Nadal, lorsqu’il a visité le pays. Andrés définit le public comme suit : « de 25 à 55 ans, cosmopolite, sophistiqué et exigeant ». Il y a aussi des clients du centro qui débarquent pour l’after office et, au coucher du soleil, tout est plein. « Trade a permis aux Argentins et aux étrangers de redécouvrir Buenos Aires depuis une autre magnitude, et en plus en profitant d’un bon moment. C’est l’une des rares opportunités pour voir la ville depuis les hauteurs », résume Rolando.
Florida 165 : Galería Güemes (Florida 165)
Florida 165 est né après la pandémie et ses mentors ont décidé de « parier » sur le Microcentro (sur la galerie historique Güemes, spécifiquement), au sens le plus littéral du terme : le risque était élevé. « Le centre de Buenos Aires avait été vidé et de nombreux locaux abandonnés, mais Marcelo [Lavorato, propriétaire de Florida 165], qui est un visionnaire et un restaurateur de longue date, a pressenti la possibilité de la résurgence de la zone et du tourisme avec cette nouvelle offre qui commençait à devenir une tendance mondiale », raconte Sebastián Magistris, responsable du bar qui se trouve au 6ème étage de la Galerie, où soit dit en passant a vécu Antoine Saint-Exupéry, auteur du Petit Prince. Une terrasse qui bénéficie d’une vue imprenable sur les coupoles de la ville. De là, on peut également apprécier les carreaux espagnols de l’ancien Banco de Boston, l’art déco de La Equitativa del Plata et le bâtiment de l’ancien Gath & Chaves. Quant à la proposition en soi, Florida 165 a d’abord visé les touristes, mais accueille aujourd’hui un public aussi local qu’étranger. « Depuis un certain temps, des gens plus jeunes viennent et nous avons lancé certains événements ponctuels : concerts de jazz ou des propositions de défilés ; rencontres « corpo » et bien sûr, c’est une visite obligatoire pour le tourisme en raison de la vue des coupoles, qui est spectaculaire », dit Sebastián. La gastronomie se concentre sur la cocktailerie avec tapas et appetizers, ainsi que sur des plats à partager avec de la viande, des brochettes et des amuse-gueules. « Et nous venons d’ajouter des sushis en créant notre propre marque, Domu Sushi, qui vient du japonais, où DO signifie coupole ou dôme, et MU lieu ou espace », synthétise Sebastián, qui ajoute que les weekends, du jeudi au samedi, un DJ met en musique le moment de trinquer dans les cieux portègnes.
Visit Sky Bar, à l’hôtel Pulitzer : Maipú 907
Pionnier des bars en hauteur, le Visit Sky Bar a ouvert en 2011 dans l’hôtel Pulitzer, quand le concept de roof top bars n’existait même pas à Buenos Aires. « En Europe, cette tendance était déjà bien installée et quand le Groupe Regina a débarqué avec la construction de l’Hôtel à Buenos Aires, il a vu le grand potentiel que la ville avait dans ce secteur », raconte Cecilia Etchegoyen, actuelle directrice de l’hôtel. C’est ainsi qu’est né le Visit Sky Bar au 13ème étage (dernier du Pulitzer) avec l’idée de créer un espace décontracté aux saveurs méditerranéennes et dans une atmosphère de bord de mer. Aujourd’hui, le secteur du bar est géré par Augusto Machado, qui a conçu une carte de cocktails d’auteur élaborés avec des ingrédients de première qualité et des techniques artisanales. Bien que l’option foodie soit limitée (principalement des tapas), le bar offre un large choix et mérite le détour. Quelques recommandations ? Le Carrot, préparé avec du Jack Daniels, des carottes fermentées et du jus de citron ; l’Alaska, qui combine gin avec cordial citrique, cidre de poires et sel marin ; et le Lord Pulitzer, un mélange de gin London dry, de vermouth rosso, de Cynar et de jus de pamplemousse. « Visit Sky Bar est le lieu idéal pour prendre un verre et écouter de la bonne musique, avec les plus belles vues et couchers de soleil du downtown portègne. C’est une oasis en plein centre-ville pour oublier la chaleur, le stress et l’asphalte. Idéal pour se retrouver avec des amis après une journée de travail et rencontrer des touristes qui sont logés à l’hôtel », assure Cecilia.
Mirador Plaza de Mayo : Av. de Mayo 560, 8ème étage
Le Rooftop Plaza de Mayo est bien particulier, car il est situé sur la terrasse historique de l’Edificio Roverano et se distingue par ses vues impressionnantes sur le Cabildo, l’horloge de la Législature Portègne et la Casa Rosada. De plus, ce rooftop a été témoin privilégié de moments clés dans la ville, car il est la scène choisie par le journaliste Tucker Carlson pour son entretien avec le président Javier Milei en 2023. On sait aussi que le pape François allait y boire du maté quand il était archevêque de Buenos Aires. Ceux qui avaient l’habitude d’y croiser Bergoglio disent qu’il aimait contempler la ville près du ciel, dans un calme olympien. Ainsi, dans ce bâtiment qui est déjà un emblème de la culture portègne, Hernán de la Colina dirige un bar en hauteur qui attire de plus en plus de gens, et soutient que son objectif est de « montrer Buenos Aires dans sa facette la plus paisible ». Avec une vue unique à presque 360°, ce rooftop possède aussi un salon avec une capacité de plus de 120 personnes, une offre gastronomique (empanadas et vin en tête), un espace couvert en cas de mauvais temps et une terrasse que personne visitant Buenos Aires ne devrait manquer de connaître.
Autres rooftops du Microcentro qui valent la peine d’être visités :
- Salón 1923, au Palacio Barolo (Av. de Mayo 1370) ;
- NH Centro Histórico (Bolívar 120) ;
- Piso 15 Sky Bar (15ème étage de l’édifice Comega) ;
- Cielo (Cerrito 180, 13ème étage) ;
- Dome (Av. de Mayo 1396) ;
- 725 Hotel Continental (av. Roque Saénz Peña 725, 9ème étage).